Laïcité principe universel

Pour les adeptes de la « laïcité de la reconnaissance du religieux » (sic), ce serait un principe « franco-français ». Ceci proféré sur un ton assez méprisant, Lorsqu’au cours d’interventions, cette argutie est avancée, je réponds que la laïcité, principe universel d’émancipation issu des Lumières et de la Révolution Française, est une construction de la raison humaine. Les Français seraient-ils donc le seul peuple doué de raison ? Quel racisme !

Pour tordre le cou à cette idée reçue, deux exemples pris parmi tant d’autres :

La Canadienne Katherine Swinton considère que nos sociétés sont composées d’une collection de nombreuses pierres qui doivent être cimentées en un réseau de manière à construire une mosaïque harmonieuse. Pour elle le ciment c’est la laïcité qui permet de vivre ensemble par-delà les différences. Pour le Libanais Georges Corm dans Orient-Occident, la fracture imaginaire, 2002 « La laïcité est un instrument critique de tout ordre qui se fige dans l’invocation d’une transcendance « divine » ou « civile ». Refus de sacraliser toute doctrine qui serait érigée en absolu échappant à la critique de l’esprit humain, d’essentialiser toute différence entre citoyens. »

Elle et lui mettent en lumière deux caractères principaux de la laïcité : liberté de conscience et égalité entre les personnes, quel que soit leur sexe, leur couleur et leur religion (Condorcet). Auquel il convient d’ajouter l’aspect cher à Jaurès : l’impartialité du pouvoir politique. L’Etat profane – qui ne se réfère à aucune religion, qui ne prétend pas tenir sa légitimité d’une religion, qui ne professe aucune croyance religieuse, qui s’abstient donc au sujet des religions sans se mêler d’aucune, sans favoriser aucune, sans léser aucune. L’Etat laïque procure un pouvoir politique indépendant vis-à-vis des religions, et qui assure à chacune d’elles, mais aussi aux agnostiques et aux athées, une pleine liberté de conscience.

La laïcité organise donc une société dont tous les membres sont juridiquement et politiquement égaux, indépendamment de l'origine, du sexe, des options philosophiques ou religieuses. Elle définit un ensemble de droits et de devoirs réciproques. Le citoyen réclame de l’Etat le respect de ses droits parce que l’Etat réclame légitimement du citoyen l’accomplissement de certains devoirs.

Laïcité et droits des femmes

La laïcité est également indispensable pour l’émancipation des femmes par rapport au patriarcat théocratique. Ce qui inclut les droits des femmes, leur autonomie et leur émancipation, la capacité à choisir de leur propre chef sans se laisser dominer par certaines tendances naturelles ou collectives, ni de façon servile par une autorité extérieure.


Partout, dans l’espace et dans le temps, on observe les rapports de hiérarchie patriarcale et d’assujettissement des femmes. Quel est le poids des religions, clé du symbolique, dans la formation et le maintien de cette hiérarchie ?

Les religions ont été fixées par des hommes, les êtres humains de sexe masculin, pour les hommes. Les textes sacrés, transcrits, étudiés, commentés le furent aussi par ces mêmes hommes qui pendant des siècles eurent le monopole de l’accès à la culture. Dans toutes les religions, on retrouve les constantes misogynes qui ont abouti à la discrimination des femmes :
elles ont été utilisées par les hommes et les Etats pour posséder le corps et l’esprit des femmes.

Les extrémismes religieux utilisent, encore aujourd’hui, les religions pour posséder le corps et l’esprit des femmes afin de conserver le pouvoir politique.

Orientation sociale décisive, l’émancipation féminine a largement infléchi le rapport des femmes à la religion. Son incidence a pris des formes variées, voire opposées, entre progressisme et intégrisme qui troublent profondément l’ordre ancestral, supposé naturel et surnaturel.

Toutes les religions voient se diviser les femmes qui s’y réfèrent : les traditionalistes, gardiennes de l’orthodoxie, se considérant comme les seules conformes aux prescriptions de leur Dieu, fidèles et fécondes pour transmettre aux nouvelles générations la foi des anciens jours. Et un courant libéral, pro-choice, admettant les mariages interconfessionnels, la maîtrise du désir d’enfant, la prêtrise, les sexualités différentes.

Partout dans le monde, en suivant des cheminements différents, les femmes vont s’affranchir du poids des religions par les revendications de disposer librement de leur corps, de leur esprit et d’avoir la maîtrise de leur désir d’enfant. Au 2/3 du xx° siècle, l’avancée des droits des femmes était visible dans tous les pays du monde.

Panique chez les machocrates qui ont appellé à leur secours les religions.

Pour convaincre des femmes de revenir aux schémas patriarcaux théocratiques, la soumission à dieu se matérialisant sur terre par la soumission aux hommes, ils utilisent deux types de discours. Un discours hypocrite de protection des femmes et un discours d’intimidation : la menace de punition sur terre ou au ciel, c’est-à-dire éternelle, si les femmes n’obéissent pas aux traditions.

Chaque fois qu’une femme n’est pas sujet de droit, chaque fois que l’égalité entre les femmes et les hommes n’’est pas respecté, cela s’appuie sur des traditions et coutumes religieuses.

La mainmise sur la fécondité et la sexualité des femmes a été et reste le moteur de l’oppression. Tous les extrémismes religieux se soutiennent. Les votes conjoints du Saint Siège, de la Pologne, Hongrie, Malte, des fondamentalistes protestants américains et des Etats musulmans dans les conférences internationales contre l’accès des femmes aux droits à disposer de leur corps en sont la preuve.

Leur champ d’action est très vaste. L’intrusion des religions dans l’espace temporel est d’autant mieux acceptée qu’elles en viennent à accomplir les fonctions de solidarité délaissées par les Etats qu’elles ont elles-mêmes affaiblis.

Voici donc les enjeux sur lesquels il faut être très vigilant et que nous allons développer tout le long de la journée. Bien sur les droits reproductifs et sexuels, mais aussi le droit à l’héritage, à la possession de la terre, l’âge légal du mariage, la liberté de choix du mari, la possibilité de mariage exogamique, de reconnaitre ses enfants nés hors mariage, de lui donner sa nationalité, etc.

Mais tout d’abord Gérard Biard, rédacteur en chef de Charlie hebdo, qui a participé il y a 2 ans au colloque sur le système prostitueur violence machiste archaïque. Je vous confirme que Charlie hebdo est connu dans le monde entier, il y a 2 ans une discussion très vive avec un chauffeur de taxi new yorkais, africain anglophone, qui considérait que vous n’avez pas à critiquer les religions.


1ère table ronde - Laïcité contre l’oppression des religions sur le corps et l’esprit des femme

Modératrice : Christelle MONTEAGUDO, journaliste, Lyon Capitale 

· Religion et psychiatrie, une relation dangereuse ? Saida Douki Dedieu, Professeure émérite de psychiatrie, Université de Tunis, Administratrice de Regards de femmes 
· Laïcité et Identité – Femmes et Laïcité,Bernard Lamizet, Professeur émérite, Institut d’Etudes Politiques de Lyon 
· tre fille à l’école en France aujourd’hui,Ghislaine Durand, professeure des écoles en ZEP, présidente de Regards de Femmes tsiganes et conseillère auprès du CESE pour la scolarisation des enfants roms 
· Les habits neufs de la réaction, Laure Caille, secrétaire générale de Libres MarianneS 
· La laïcité à l’épreuve du multiculturalisme, Yolène Dilas-Rocherieux, sociologue du politique, maître de conférences en sociologie politique à l’Université Paris Ouest-La défense 
· Débat 



2ème table ronde - Laïcité principe universel, force et bouclier pour TOUTES les femmes



Modératrice : Caroline BENOIST, directrice de Faire Sens 

· Droits sexuels et reproductifs : les responsables du blocage au niveau international, Annie Sugier, présidente de la Ligue du Droit International des femmes 

· L’instrumentalisation politique des religions : un danger majeur pour les femmes, André Gerin, maire-honoraire de Vénissieux, député du Rhône (1992-2012) 


· 25 ans à l’ombre de l’église en Pologne, Nina Sankari, La Coalition Athée 

· Les droits des femmes au Mali, entre droits positifs et droits coutumiers, Toure Yaba Tamboura, Coordinatrice Genre, Ministère de la Famille, de la femme et de l’enfant, Mali 


· Débat 

Conclusion - Michèle Vianès 

En conclusion, il est important de mettre en lumière les différences entre Etats laïques et non-laïques ainsi que les actions à mettre en œuvre pour les femmes en s’appuyant sur le principe universel de laïcité. 

Etats laïques et non-laïques 

La laïcité organise l’espace politique qui repose sur la liberté de penser et d’expression, sur l’égalité en droit et en dignité des options philosophiques ou croyances religieuses et sur la neutralité de l’action publique.

L’impartialité dans la garantie de pouvoir croire, de ne pas croire ou de douter et pour toutes les confessions de pouvoir exercer librement leur culte, sous réserve de ne pas attenter aux libertés d’autrui, ni troubler l’ordre public impose à l’Etat et aux collectivités territoriales, aux agents des services publics et à leurs usagers, la neutralité vis-à-vis de toutes les religions et surtout l’indifférence.

Moyen de faire coexister des femmes et des hommes qui ne partagent pas forcément les mêmes convictions, mais émancipés par une éducation à l’autonomie rationnelle de jugement, l’exigence laïque demande à chacun un effort sur soi. Le lien civique a la prééminence sur tous les particularismes historiques ou religieux, sur les solidarités domestiques locales ou claniques. La loi est la même pour tous et toutes. Pas de droits différenciés selon le sexe, l’appartenance à une religion ou une idéologie, à une profession.

La laïcité est donc garante de l’égalité en droits, devoirs et dignité des femmes et des hommes. Contraception, avortement, refus des violences ethnicistes, de l’oppression religieuse et/ou communautariste en sont les applications. 

Si l’Etat n’est pas laïque


Soit une religion est obligatoire ou privilégiée, donc imposée, la liberté de penser n’est plus possible. La religion assujettissant à son profit la puissance publique, il n’y a plus d’égalité. Ceux qui ne croient pas en cette religion ou qui l’interprètent différemment subissent une altération ou un anéantissement de leurs droits fondamentaux en tant que personne humaine.

L’unicité est de façade. Comme la diversité des opinions et l’égalité en droit ne sont pas respectées, les conflits et « guerres des dieux » se développent.

Soit toutes les religions sont « reconnues », chaque groupe va pouvoir exiger de respecter ses propres règles de vie communautaire. L’intérêt et la surenchère de chaque groupe prime sur le bien commun. Cette diversité cristallise les différences et érige des murs entre les groupes. L’espace public est morcelé. Il n’y a plus émergence de principes communs supérieurs aux valeurs individuelles, plus de mixité entre les groupes, les mariages endogamiques restent la règle. Des éducations particulières divisent les enfants et les jeunes avant d’opposer les adultes.

En cas de conflits entre les groupes, pour arbitrer au nom de l’intérêt général, l’Etat qui n’a pas l’outil de la laïcité – laquelle connaît toutes les religions, mais n’en reconnaît aucune- est désarmé. Ainsi lorsque l’égalité en droits, devoirs et dignité des femmes et des hommes n’est pas respecté dans des groupes ethniques au nom de traditions ou de religions, les pays communautaristes ou multiculturalistes rencontrent des conflits évidents. Le multiculturalisme exacerbe l'ethnicisation des rapports sociaux et provoque l’enfermement « identitaire » qui dresse des murs au lieu de favoriser lien social et projet politique commun.

Les actions à poursuivre La Convention pour l’élimination des discriminations envers les femmes Cedaw et la plate-forme d’Action de Pékin affirment « Aucun prétexte de traditions, de coutumes ou de religions ne peut être évoqué pour justifier des violations des droits des femmes ». Ce sera l’objet de l’atelier que nous organiserons en mars prochain à l’ONU pendant la commission du statut des femmes où les Etats devront présenter l’application de ces conventions.

Pour que toutes les femmes aient accès aux droits fondamentaux universels, à leur autonomie et émancipation, la laïcité, la séparation entre le religieux et le politique, est indispensable. 

« La loi pour tous, la foi pour soi » comme disent nos amies de NPNS.

Ne soyons ni dupes ni complices du discours englobant des fondamentalistes religieux, négation de l’autonomie de l’individu. Pour cela : 

1. Affirmer les principes universels d’égale dignité des hommes et des femmes. 

2. Refuser toute justification religieuse d’atteinte aux droits des femmes. Toutes les femmes et jeunes filles dans un pays ont les mêmes droits. Dénoncer l’argument du relativisme culturel qui permet aux fondamentalistes religieux d’opprimer leurs coreligionnaires, à commencer par les femmes.


Nous sommes bien dans le combat entre traditions archaïques et théocratiques patriarcales et l’idée moderne de laïcité, héritière des Lumières (« Nous avons besoin des lumières, nous avons besoin de la laïcité » Taslima Nasreen) : reconnaître à chacun la même dignité, n’exiger nulle dévotion en contrepartie mais l’adhésion librement consentie à un contrat et à des devoirs de la part de consciences autonomes et libres, c’est-à-dire éclairées, aptes à juger et capable de vouloir. 

Particularismes, individualismes, corporatismes, communautarismes, ethnicismes, colorismes, séparatismes qui ignorent le bien commun relèvent de la même logique. Ils créent des tensions qui ne peuvent conduire qu’à des conflits, des exclusions et entraîner perte du sens civique et danger pour la paix civile.

Aussi je vous invite à suivre les conseils de Voltaire à M. le Marquis de Villevieille, 20 décembre 1768 « Je brave le diable qui n’existe point et les vrais diables fanatiques qui n’existent que trop. »